mercredi 20 mars 2013

Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?

Réécrire les blessures de l'enfance, ne pas être réduite au silence, partager le pouvoir des mots, transcrire ses souvenirs, panser ses plaies, c'est pour ces raisons que Jeanette Winterson écrit.
« Je devais être capable de faire mon propre récit. Mi réalité mi fiction, voilà les ingrédients qui composent ma vie.[...] J'ai rédigé mon issue de secours. »
C'est effectivement une porte d'évasion qu'ouvre Jeanette Winterson à travers le récit de sa vie. Par une écriture du seuil, du trouble, Jeanette se cherche, se construit et s'affirme une identité propre et conquiert douloureusement sa liberté.

21 janvier 1960, John William Winterson, ouvrier, et Constance Winterson, employée de bureau, se rendent à Manchester afin d'y adopter un bébé et l'emmènent chez eux, au 200 Water Street, Accrington, Lancashire. Mais Mrs Winterson pense rapidement avoir choisi « le mauvais berceau » et que la fillette est un bébé du Diable!

Écrasée entre un père quasi inexistant et une mère mystique et castratrice qui pense que le monde est une "poubelle cosmique" où l'amour n'existe pas, la petite Jeanette essaie de survivre et d'aimer. La vie devient alors un combat : 
« J'ai lutté à mains nues quasiment toute ma vie. Dans ce genre de combat, le vainqueur est celui qui frappe le plus fort. »

Adolescente, alors qu'elle découvre son homosexualité, Jeanette est reniée et chassée par sa mère adoptive. Après avoir subi un exorcisme exigé par Mrs W., Jeanette décide qu' « il n'est jamais trop tard pour apprendre à aimer ». Elle partira dès lors, en quête du bonheur. L'apprentissage de l'amour sera un moteur essentiel dans cette quête, au même titre que la lecture.
En effet, ce sont les livres et la bibliothèque d'Accrington qui permettront à Jeanette de se sauver de la violence et du manque d'amour maternels et de se construire une identité. « Porte vers l'ailleurs », véritable « bouée de sauvetage », la littérature sera pour la fillette un remède, un espoir de liberté:
 « Un livre est un tapis volant qui vous emporte loin. Un livre est une porte. Vous l'ouvrez. Vous en passez le seuil. En revenez-vous? »

La lecture lui ouvrira bien une porte, celle de l'écriture. Après avoir lutté pour se construire et s'affirmer une identité sexuelle, Jeanette Winterson découvre son identité littéraire en devenant écrivain. Animée par le désir d'écrire, Jeanette y trouve un soulagement, un sentiment de libération. L'écriture est selon elle, une nécessité autant pour soi que pour autrui car l'acte d'écriture est un don, un partage, une ouverture au monde et aux autres.

Jeanette Winterson
Par le biais d'une écriture sincère et réflexive, Jeanette Winterson nous offre un récit intimiste qui mêle passé et présent, fait et fiction. La distance lucide dont fait preuve l'auteur permet d'apprécier la profondeur du récit sans tomber dans le pathos. Son écriture est fluide mais fragmentée, peu linéaire, à l'image de la vie elle-même: 
 « La vie est faite de couches, elle est fluide, mouvante, fragmentaire. Je n'ai jamais pu écrire d'histoire avec un début, un milieu et une fin parce que cela ne me paraissait pas fidèle à la réalité. Voilà pourquoi j'écris comme je le fais. Ce n'est pas une méthode; c'est moi.»
Par l'écriture, Jeanette Winterson se livre et se délivre et nous offre en partage le cadeau qu'elle a reçu: celui du pouvoir des
mots. Pourquoi être heureux quand on peut être normal? est le récit d'une vie, d'une quête de bonheur et d'identité qui donne envie de lire, d'écrire, de vivre.

Si vous aimez ce livre, vous pourriez apprécier: Vilaine: l’histoire vraie d'une enfant haïe par sa mère de Constance Briscoe.

lundi 11 mars 2013

Dans ma discothèque, il y a...

Rhye, Open

Escapade sur l'île d'Ouessant



phare du Créac'h

« Qui voit Molène voit sa peine,
Qui voit Ouessant voit son sang,
Qui voit Sein voit sa fin,
Qui voit Groix voit sa croix. »

Enez Eusa, île sauvage du Finistère était autrefois surnommée " l'île de l'épouvante" car les écueils et les forts courants marins qui l'environnent ont occasionné de multiples  naufrages.  Ses phares prodigieux protègent aujourd'hui le littoral. Profitant de ma visite à une amie très chère qui réside à Brest, je décide de partir à la conquête pédestre de cet îlot de roche et de vent, accompagnée de mon cher et tendre.

Après 2h30 de traversée maritime depuis la rade de Brest, nous accostons Ouessant. L’île offre à nos regards une terre aride, marquée par la force des vents et des tempêtes : très peu d’arbres, pas de relief, une lande parsemée de buissons épineux et d’ajoncs.  Nous décidons de poursuivre notre route à pieds car les sentiers côtiers ne sont pas accessibles aux vélos (en location dès l’embarcadère).
Les rivages sont superbes et sauvages. La côté dentelée abrite de multiples criques, grottes, plages de galets et de sable fin, frappées par les embruns, invitant à la découverte et à la rêverie. Des rocs surgissent de toute part aux alentours de l’île et stimulent notre imaginaire, faisant ressurgir du passé les naufrages, les histoires de pirates et de trésors enfouis. Nous profitons de cette journée exceptionnellement ensoleillée pour faire une sieste digestive sur l’herbe moelleuse en bord de falaise, un délice ! C’est la saison de l’agnelage et de petits agneaux noirs ou blancs à peine recouverts de leur manteau de laine se blottissent au creux des pattes de leur mère. 
Quelques heures de marche plus tard, nous atteignons la pointe du Créac'h avec son phare emblématique rayé de noir et blanc et ses à-pics rocheux. Ces paysages me rappellent ceux des îles anglo-normandes (Guernesey, Sark surtout) où je me suis rendue il y a deux ans. Le lieu idéal pour retrouver son âme de galopin et sauter de rocher en rocher, escalader des pics et braver les vagues…

Le soir tombe et nous restons sur la pointe du Créac'h afin d'admirer le coucher du soleil derrière les roches granitiques. L'air se rafraîchit et il est temps pour nous de dîner. Nous sommes lundi et un seul restaurant est ouvert, il s'agit du Fromveur dans le bourg de Lampaul. Dommage! Nous retrouvons nos compagnons de la traversée du matin dans une ambiance blafarde et silencieuse que le litron de cidre artisanal que nous avons commandé n'a pas suffi à compenser! Le retour nocturne à notre chambre d'hôtes située à l'autre bout de l'île s'avère une sacrée aventure! Éclairés par la puissance du phare du Créac'h, nous avançons au son des bêlements des agneaux en direction des petites veilleuses rouges placées sur le faîte des maisons environnant l'aérodrome ouessantin.

Le lendemain, la météo est bien moins clémente et les pieds plus endoloris! Le seul bateau de retour étant en milieu de journée, nous profitons de la matinée pour arpenter la pointe du Stiff. Voulant accéder à une grotte léchée par les vagues, je glisse sur les algues insulaires si particulières (on croirait des asperges géantes!) et voilà mon pied gauche dans l'eau salée! Nous rejoignons alors Stang Ar Glann, près du bourg, afin de trouver du réconfort dans la crêperie-salon de thé Chez Carole, abri parfait pour le marcheur amateur de bonnes galettes grillées! Le décor est charmant, des services à thé en porcelaine très british sont exposés et de nombreuses photographies en noir et blanc permettent au visiteur de se représenter l'histoire de l'île et de ses personnalités.

Des courbatures plein les pattes, nous rentrons de cette escapade émerveillés et conquis. Un vrai régal, gustatif autant que visuel!